Être un champion de boxe de notoriété mondiale puis tomber dans un oubli nébuleux…Tel aura été le destin de Cherif Hamia, sans doute le boxeur le plus talentueux de l’histoire de la boxe. Regard argentique sur ce boxeur algérien, qui aurait pu être champion du monde n’était-ce une contrariété du destin…inexpliquée jusqu’à ce jour».
Cherif Hamia naquit le 23 mars 1931 à Guergour ( Hammam Guergour) dans le département de Constantine. Dès le jeune âge, il montre des aptitudes aux petites empoignades de l’adolescence. Il est vite remarqué par les colons qui s’adonnaient à la pratique de la boxe. Cherif Hamia, monte vite en graine et devient champion d’Algerie. Il consomme après ce titre, près de 200 combats en amateur avec un taux de défaite qui approche l’infime.
L’invincible Cherif Hamia…titrait la presse de l’époque.
En 1953, installé en France, Hamia part aux États-Unis en tournée où il gagne les Golden-Gloves ( gants en or, équivalent du championnat du monde amateur) le 16 juin 1953 au Chicago Satadium et bat tous les adversaires qu’il rencontre.
En novembre 1954, il est sacré champion de France face à Jacques Dumesnil. Et conserve son titre devant son redoutable compatriote mohamed Chikhaoui, surnommé le cogneur de Ain Sefra. L’histoire est en marche.
Passé professionnel sous la houlette de Philippe Phillipi , il conserve son titre de champion de France poids plume en 1955.
Surnommé « Baby Face» par la presse américaine à cause de son visage angélique, il devient la coqueluche du Tout-Paris.
Hamia aura été le premier boxeur starisé dans cette société française, en mal de loisir, et pas encore remise de la 2e guerre mondiale.
A star ils born…diront les américains. C’est la naissance d’une vedette qui deviendra une extraordinaire attraction populaire. Et qui remplira comme personne auparavant à chacune de ses apparitions les hauts lieux de la boxe française : la salle Wagram, le palais des sports , la Mutualité etc.
Doté d’une pléiade de coups qui vont d’ un direct du droit inouï à un uppercut ravageur, et d’une fausse garde déroutante , Hamia allumait les foules par sa classe naturelle. Et attirait comme un aimant un vaste public et notamment le Gotha parisien des arts, des lettres , de la politique, du cinéma, des affaires ainsi que bon nombre d’admiratrices comme Juliette Greco, Suzy Delair , Michèle Morgan.
On imagine mal aujourd’hui à quel point Cherif Hamia , appelé «le génie du ring» par la presse sportive, a fasciné un public aussi cosmopolite que celui de la France de l’époque.
En 1955 , il affronte Robert Cohen (boxeur d’origine juive et natif de Bône, actuelle Annaba), et champion du monde dans une catégorie supérieur ( poids coq). Le combat tourne à la démonstration et Hamia met au tapis Cohen par un déroutant K.0.
Et en janvier 1957 , il est sacré champion d’Europe au terme d’un combat en 15 rounds resté dans les mémoires face au belge Jean Sneyers, boxeur de grande classe régnant sur l’Europe.
Avant d’aller vers la suite de la carrière de Cherif Hamia , il est utile de revenir sur l’ambiance générale dans laquelle baignait la société française.
Nous sommes en 1957 et la guerre d’Algerie bat son plein. Alain Mimoun, de son vrai Okacha Mimoun devient champion olympique du marathon dans les J.O d’Helsinki.
Et si la célébrité est une veine investie à fond par le public, elle est différemment appréciée par la l’establishment français marqué par la débâcle de Dien-Bien-Phu et le début de la guerre d’Algérie.
Okacha Mimoun ,devenu Alain Mimoun , après s’être converti catholique et champion olympique de fraîche date est traité de façon mitigée par la presse française.
Catholique ou pas Mimoun est un arabe, un immigré et constitue de facto un personnage exogène, malgré son attachement social et religieux à la France.
Aussi, la figure de l’immigré est estampillée matrice de la culture coloniale, qui, ayant structuré momentanément ou durablement des représentations et des imaginaires dont le sport -malgré les exploits – est considéré comme un mode d’expression pas du tout français. Ce qui dans le modèle d’allégorie socio-politique français cela passe mal. Car l’ordre social est dessiné est en filigrane de la pensée politique gauloise.
Si les sportifs français sont d’une façon permanente l’objet d’un traitement qui rehausse leurs exploits, même si ceux-ci sont de moyenne facture, l’échec des sportifs étrangers algériens-franco- musulmans et indigènes, est l’occasion de souligner leur déclin ou les difficultés qu’ils rencontrent.
Ainsi, la figure sportive de référence doit être d’abord française , chrétienne ou catho, et blanche pas basanée.
Et de cela, Cherif Hamia n’est pas dupe. Car la médiatisation de Cherif relève de ce processus.
Algérien en pleine guerre d’Algérie…Ces dimensions humaines et géographiques bloquent Hamia dans son ascension vers l’olympe gaulois.
Car Hamia pointe l’altérité sous l’angle du déni de l’étranger. A titre comparatif, Alphonse Halimi, champion de France en 1953 et du monde en 1957, né à Constantine et de condition sociale proche de Hamia, ne fut jamais traité médiatiquement de la même manière que l’algérien dans la mesure où Halimi , à cause de ses origines juives n’est pas perçu comme un indigène. Et c’est dans ce contexte que Cherif Hamia se met en route vers le titre de champion du monde.
Devant affronter le champion du monde en titre de la catégorie en l’occurrence Sandy Saddler, Hamia du revoir son plan de combat, car Saddler abandonne son titre de champion du monde en décidant d’arrêter la boxe. Et c’est Kid Bassey que Hamia affrontera pour la ceinture mondiale à Paris en 1957.
Juin 1957, Hamia est âgé de 26 ans, il est désigné principal challenger, grâce à ses succès sur les américains Costa , Kid Hesnut et le portoricain Berrios.
24 juin 1957, le palais des sports de Paris est plein comme un œuf. Le «Singing Paris» est au rendez-vous. Cherif Hamia est au sommet de sa gloire .
Le premier round est nettement à l’avantage de Hamia, qui envoie Bassey au tapis au 2e round. Et puis v’lan ! Et pour des raisons restées incompréhensibles pour les spectateurs, journalistes, chroniqueurs de boxe, il se laisse malmener , baissant la garde, se contentant d’esquiver. Et devant ces coups qui pleuvaient sans réaction, et au vu visage tuméfié de Hamia, l’arbitre arête le combat au 10e round et déclare Bassey champion du monde.
L’étonnement est à son comble. La stupéfaction se lit sur le visage des spectateurs…il y’a comme un malaise. « un simulacre de combat », titre la presse parisienne !
Hamia, expliquera plus tard, que des émissaires du FLN l’avaient menacé s’il devenait champion du monde sous les couleurs françaises. Une thèse qui fait polémique jusqu’à ce jour. Hamia mettra fin à sa carrière le 15 octobre 1959 après sa défaite contre le belge Pierre cossemyns à Bruxelles.
Quoi que tout n’a pas été dit sur le pourquoi du comment, du combat de Hamia en ce 24 juin 1957 contre Bassey, Hamia est certainement le meilleur boxeur de l’histoire pugiliste française et mondiale de tous les temps.
Les spécialistes affirment depuis toujours que c’est le seul boxeur algérien qui avait le potentiel de devenir plusieurs fois champion du monde.
Après s’être retiré de la boxe, Hamia s’installa en province.
Bien des années après, nous le rencontrâmes souvent à Paris. Modeste, affable nous partageâmes souvent un café avec lui. Il parlait de tout sauf de boxe. Il nous raconta comment le propriétaire des magasins « TATI», Jules Ouaki, un pied noir de Tunis, fou amoureux de boxe, et fan de Hamia fit appel à ses services pour lui organiser le service «sécurité de l’entreprise».
Et c’est dans l’enceinte de ce magasin, situé sur le boulevard Barbés que nous entrevîmes à la fin des années 80, Cherif Hamia pour la dernière fois.
Cherif Hamia mourut dans un anonymat scandaleux à Paris le 24 juin 1991. 34 ans jour pour jour de…son combat inachevé pour le championnat du monde de boxe.
L’oubli est un cancer mangeur d’hommes. Et la reconnaissance sélective des faux champions une saloperie insupportable.