Cabaret "Sevilla Nights" "ليالي اشبيليا"
1er festival de musique andalouse 1967, Orchestre el Afrah de Constantine, (33T, Volume 4, face A) l'Orchestre el Afrah de Constantine أوركسترا الأفراح قسنطينة Direction : Chikh Ammouchi رئيس الجوق : الشيخ عموشي Mcedder Mdjenba مصدر مجنبة Ma saba aqli siwa sihr el djoufoun ما صاب عقلي سوى سحر الجفون
Chikh Zouaoui Makhlouf الشيخ زواوي مخلوف
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Cherif Zaârour شريف زعرور
Adléne Fergani & Benzina
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Mohamed Abderrachid Segni سقني محمد
spécialité : Luth Arabe
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Abbes Righi عباس ريغي
spécialité : Luth Arabe
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Constantine, Histoire d'une ville, le Malouf |
قسنطينة، المالوف - Emission ENTV de Bensaid Mouloud - Constantine (2010) |
قسنطينة، المالوف - Emission ENTV de Bensaid Mouloud - Constantine (2010) |
Edmond Atlan
Léon Lalloum |
Simone Tamar (1932-1982)
Alice Fitoussi (1916-1978), née à Bordj Bou Arreridj Algérie, fille du maâlam Rahmim Fitoussi
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Sylvain Ghrenassia (Père d'Enrico Macias) (1914-2004)
Enrico Macias
René Levy
Raoul Ghenaissia
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C’est «Nedjma» qui s’en va. Le maître du malouf, Mohamed Tahar Fergani, décédé mercredi soir, sera inhumé aujourd’hui à Constantine. L’avion transportant la dépouille mortelle atterrira ce matin à l’aéroport de la ville. Le corps sera transporté au domicile du défunt dans le quartier de Sidi Mabrouk, avant d’être déposé à la maison de la culture Malek Haddad pour permettre aux citoyens de lui rendre un dernier hommage.
Le malouf de Constantine est orphelin. Ce genre musical qui fait partie des trois grandes écoles de la musique andalouse en Algérie vient de perdre l’un de ses derniers grands maîtres. Un pilier qui s’est éteint, mercredi soir, dans un hôpital parisien à l’âge de 88 ans des suites d’une longue maladie. Une grande perte pour la culture algérienne, qui survient sept jours après celle du grand maître du chaâbi Amar Ezzahi.
Mohamed Tahar Fergani, connu et reconnu en Algérie et dans le monde, n’a pas uniquement la stature d’un cheikh incontesté, mais il demeure une icône et une grande école de la musique andalouse. Les Constantinois l’auront remarqué ces derniers mois. El Hadj était très fatigué. Il avait été hospitalisé dans un établissement parisien suite à des soucis de santé. Malgré son âge avancé, il tenait toujours à assister à différentes manifestations culturelles, surtout lorsqu’il s’agissat de malouf.
On l’a bien vu lors de la dernière édition nationale abritée en 2015 par le Théâtre régional de Constantine, où il était présent pour encourager tous ces jeunes talents prometteurs qui ont tenu le relai à la bonne source, et qui œuvrent pour la pérennité d’un art très prisé par les mélomanes, jeunes et anciens, et qui a été jalousement défendu par les grands maîtres depuis plusieurs générations. A chaque occasion, il ne cessait de prodiguer conseils et orientations.
Il veillait toujours pour que ces jeunes talents apprennent le malouf sur des bases solides. Du haut de ses 88 ans, il était toujours un homme élégant, courtois, généreux, bienveillant et d’une grande modestie. La dernière apparition publique du grand Mohamed Tahar Fergani remonte à juillet 2015 à l’occasion de la manifestation «Constantine, capitale de la culture arabe», durant laquelle il a été honoré, au même titre que son père Hamou et son frère Mohamed Seddik, qui ont reçu un hommage posthume. Il rejoindra les autres maîtres du malouf, Abdelmoumene Bentobbal et Abdelkader Toumi, disparus respectivement en 2004 et 2005.
Les débuts d’un jeune prodige
Il est difficile de résumer la vie et l’œuvre de Mohamed Tahar Fergani. Il faudra tout un livre pour parcourir une carrière riche et prodigieuse, qui s’étale sur 70 ans pour un homme qui a consacré tout son talent à un art qu’il chérissait beaucoup. De son vrai nom de famille Reggani, Mohamed Tahar est né le 9 mai 1928 à Constantine. Il aura l’immense chance de grandir dans une famille de musiciens et de chanteurs. Déjà son père, Cheikh Hamou Fergani (1884-1972), était un chanteur et compositeur très connu à l’époque, et qui s’est illustré surtout dans le style hawzi.
Dans la famille, il y avait aussi son frère Mohamed Seddik, sa sœur aînée Fatma Zohra, plus connue sous le nom de Zhor, surnommée la Diva du malouf, mais aussi sa sœur jumelle Zoulikha qui a dirigé un orchestre de Banoutate. Mohamed Tahar commencera dans sa jeunesse par apprendre la broderie sur du velours, appelée «el medjboud», pour la confection de la gandoura constantinoise. Un métier très prisé dans l’antique Cirta, mais qu’il abandonnera pour sa nouvelle passion musicale. Il fera ses premiers pas dans le monde de la musique en apprenant à jouer de la flûte de roseau appelée el fhel ou djawak. «J’apprenais el fhel avec Kaddour Darsouni ; on descendait du côté du rocher et on faisait les répétitions ensemble», se rappelait-il.
Après des débuts en 1946 dans l’orchestre de Omar Benmalek, alors qu’il avait à peine 18 ans, Fergani est attiré par le chant oriental qu’il dit avoir apprécié avant le malouf. Une reconversion qui le pousse à reprendre les chansons de Mohamed Abdelouahab et Oum Keltoum au sein de l’association Touloûe El Fedjr. Une expérience de courte durée, puisqu’il reviendra vite aux sources du malouf. Ses débuts en 1949 seront remarquables, où il obtiendra le 1er prix dans un concours de musique organisé à l’occasion d’une kermesse à Annaba. Le jeune prodige entamera alors ses premiers pas en 1951 avec son père Cheikh Hamou, qui lui apprendra le hawzi.
Il aura également pour maître le grand cheikh Hassouna Ali Khodja, qui lui prodiguera des enseignements des zdjoul, avant de faire l’apprentissage de la nouba et du hahdjouz avec cheikh Abderrahmane Kara Baghli, plus connu sous Baba Abeid, puis de cheikh Abdelkader Toumi.
Ayant une voix de ténor et une mémoire prodigieuse, Mohamed Tahar Fergani fait une percée fulgurante. Il enregistre déjà son premier disque dans les années 1950. Ses talents de chanteur et de virtuose du violon, qui deviendra son instrument favori, feront de lui un artiste attitré lors des multiples fêtes familiales et des soirées, ainsi que des concerts animés dans différentes occasions officielles.
Une carrière de maître
Il faut dire aussi que toutes les conditions étaient réunies pour que le jeune Mohamed Tahar devienne un phénomène musical à Constantine et en Algérie. Après l’indépendance, il continuera de parfaire sa formation musicale, en puisant dans le répertoire andalou, en côtoyant les maîtres Dahmane Benachour de l’école d’Alger, et Abdelkrim Dali de l’école de Tlemcen. Avide d’apprendre et d’assouvir sa soif, il réussira à maîtriser tous les genres de la musique andalouse, en apprenant également des centaines de poèmes.
Il fera sensation dans les années 1970 en interprétant avec brio les perles du répertoire musical constantinois, dont on citera les chansons Dhalma, El Boughi et la mémorable Galou Laârab galou, qui raconte l’histoire tragique de Salah Bey. Une interprétation inimitable, qui fera désormais sa notoriété, et que nul n’a pu égaler à ce jour. El Hadj Fergani est resté durant des années un maître incontesté et incontestable du malouf, au point de devenir une référence.
Si le chaâbi avait son Cardinal à Alger avec El Hadj M’hamed El Anka, Mohamed Tahar El Fergani sera désormais le Cardinal du malouf à Constantine. En plus des centaines d’enregistrements et des émissions de la radio et de la télévision, dont l’inoubliable émission «Rasd ou Maya» animée par Leïla, et tournée dans le décor du prestigieux palais Ahmed Bey, El Hadj Fergani a porté la renommée du malouf dans plusieurs pays à travers ses tournées dans le monde arabe, en Europe et même en Asie.
Avec lui, ce genre musical est arrivé jusqu’à Tachkent en Ouzbékistan. Il a laissé un très riche héritage qu’il faudra préserver pour les générations futures. C’était son vœu le plus cher. «Nous avons eu beaucoup de chance de côtoyer ce grand maître de la musique andalouse ; nous avons énormément appris de lui lors de nos différentes rencontres à l’occasion des festivals nationaux ou internationaux. Personnellement, j’ai toujours ressenti de l’émotion en écoutant chanter El Hadj Tahar Fergani ; ce sont moments intenses», a témoigné à El Watan Smain Hini, président de l’association El Inchirah, lors d’une rencontre organisée, il y a quelques années, au théâtre régional de Constantine.
«Mon père a servi la culture algérienne en général et le malouf en particulier pendant 70 ans. Son vœu le plus cher est que toute son œuvre, qu’il a accomplie durant cette riche carrière pour la sauvegarde de cet art soit mise en valeur, préservée et portée à la connaissance des gens pour que sa mémoire soit toujours vivante dans les esprits», dira son fils cheikh Salim Fergani, digne héritier de son père. On ne peut pas dire plus pour saluer la mémoire de ce grand maître-école, qui a de tout temps été fidèle au malouf et toujours égal à lui-même.
Arslan Selmane du journal el Watan
Bien qu'appréhendée par ses proches, à la suite d'une série d'hospitalisations, la disparition de Hadj Mohamed-Tahar Fergani avait pu surprendre, provoquer une émotion partagée d'un bout à l'autre de l'Algérie et appeler les prévisibles hommages que suscite légitimement une trajectoire artistique et personnelle hors normes dans le champ culturel algérien.
En ce vendredi gris, l'hommage officiel attendu – c'est le ministre de la Culture qui lira l'oraison funèbre en présence de Abdelmalek Sellal et des autorités civiles et militaires de la région – n'aura pas fait ombrage à la dimension populaire de l'événement et Constantine aura, de près ou de loin, marqué son attachement à l'homme et compati à la douleur des siens.
Constantine a toujours su saluer la mémoire de toutes les grandes figures qu'elle avait portées sur les fonts baptismaux – de Si Mohamed Bendjelloul à cheikh Ma'mar Benrachi, de Abdelmoumen Bentobbal à Abelkader Toumi ou Zouaoui Fergani – qui avec talent et souvent abnégation avaient maintenu, en des temps improbables, les prestigieuses filiations des Bestandji, Benkartoussa, Benmerabet, Belghoul, Bendjemel ou Omar Chaqleb.
Mohamed-Tahar nait au printemps 1928 au sein d'une famille marquée au coin des attaches musicales, au cœur d'une des séquences décisives de l'histoire algérienne, celle de «la reprise historique», selon la formulation du regretté Abdelkader Djeghloul, qui verra la société musulmane se remobiliser, convoquer de nouveaux cadres d'expression – la presse, le théâtre, l'association – et Constantine, dont les élites s'étaient déjà signalées par la lettre adressée à la commission d'enquête sénatoriale de 1891 ou la création du Cercle Salah Bey avec le muphti Mouhoub Benmouhoub, y occupera une place significative.
UNE DÉCENNIE MYTHIQUE. L'enfant qu'accueille la famille de Mohamed – Tayeb Reggani – cheikh Hamou, pour les mélomanes constantinois – allait grandir dans une médina désormais largement dominée par la ville européenne qui, notamment sous l'action de son maire historique Émile Morinaud, imposait son urbanisme, sa modernité et quelque part la morgue des puissants.
Il ne reste, à ce jour, que trois survivants de la décennie mythique constantinoise des années 1920 – Hadj Kaddour
Darsouni, né en l927, Si Mouloud Bendib, né en 1926, et cheikh Larbi Bouchalta, né en 1927 – qui avait vu naître Abdelmadjid Djezzar, Abdelmoumen Bentobbal, Malek Haddad, Kateb Yacine et Mohamed-Tahar dont les empreintes, les œuvres relèvent désormais du patrimoine culturel national.
Pour l'artisanat constantinois, socle des univers confrériques et musicaux de la médina, ces années-là furent aussi celles du début du délitement, de la concurrence agressive des produits manufacturés et les Reggani – Abdelkrim, l'aîné en particulier – tentaient de maintenir la tradition de la broderie citadine alors même que se levaient, sur un autre registre, les préventions vis-à-vis de l'école publique française et que l'école Jules Ferry de Sidi Djellis, recevait de plus en plus d'élèves musulmans.
Mohamed-Tahar y inscrit un parcours aléatoire, dont il témoignera par la suite dans l'un des documentaires que lui consacrera la télévision nationale, mais dont on n'a pas forcément pris la mesure sur les choix futurs de l'artiste. Y avait-il, en effet, découvert, sans doute par une formidable intuition, le challenge inédit d'une modernité qui allait le porter plus loin que les appartenances et les allégeances établies ?
TRANSGRESSION FÉCONDE. Dans une fin de second conflit mondial qui fut particulièrement dure pour les Algériens, Mohamed-Tahar retrouve, un temps, auprès de son aîné Abdelkrim, les ornementations subtiles de la médina, de l'enracinement, même s'il conserve de l'hiver 1945 le souvenir d'un grave accident qui aurait pu affecter sa main gauche. Signe du destin ? Ce n'est pas, en tout cas, à l'ombre de la gloire du père – au demeurant cheikh 'amel, de la zaouiya Aïssaouiya – que Mohamed-Tahar veut tracer son chemin, et son choix de l'association «Toulou' el fadjr» (Lever de l'Aurore), vouée au Machreq musical, aurait sans doute mérité des lectures plus attentives. Au-delà d'une inclination réelle pour les musiques d'Orient – la légende veut même que le jeune Mohamed-Tahar n'hésitait pas à sortir son djawaq (flûte de roseau), pour accompagner, des travées de l'historique salle de cinéma Cirta, les artistes qu'il suivait à l'écran –, c'est moins d'un refus des héritages citadins qu'il s'était agi que d'une quête de nouveaux horizons, de territoires qui excédaient les limites d'une médina arcboutée à ses valeurs.
L'aventure de «Toulou' el fadjr» constitue indéniablement l'une des premières empreintes fortes de la vie de Mohamed-Tahar, caractérisée par une transgression de long cours. Plus que les poèmes de Ahmed Chawqi, El Moutanabbi, le lyrisme de Mohamed Abdelouahab ou Oum Kaltoum, dont il reprenait les textes, est-ce la fascination pour le violon de Réda El Kolaïa, musicien tunisien associé au travail de Mohamed Derdour, animateur de «Toulou' el fadjr» qui marque Mohamed-Tahar. Il en parlera aussi et ce fut, à nul doute, le premier basculement décisif d'une trajectoire artistique qui ne voulait rien se refuser. Mohamed-Tahar avait-il aussi voulu – volontairement ? – couper le cordon ombilical, construire une fraternité de substitution, à la filiation familiale et constantinoise ? Il se placera de manière inédite sous l'étoile de Missoum Amrani à Alger, au tout début des années 1950 où il côtoiera, entre autres, Ahmed Wahbi, Khelifi Ahmed et, là encore, cette station paraît aveugle pour ceux qui allaient instituer Mohamed-Tahar en «chantre du malouf».
CETTE MONTAGNE-LÀ. Mohamed-Tahar avait-il eu alors l'intelligence de se construire plus loin qu'un champ citadin constantinois esthétiquement verrouillé avec les fortes personnalités de Khodja Bendjelloul, Abdelhamid Benelbédjaoui «Errais», l'aura naissante de Raymond Leyris ou encore les premiers pas notables de Kaddour Darsouni ou Abdelmoumen Bentobbal ? Si Hassouna Ali Khodja ou Abdelkader Toumi avaient tôt décelé les capacités du fils de Hamou et l'avaient fortement engagé à revenir aux legs de la médina et, s'il est difficile de dater, au sens événementiel, le retour de l'enfant prodige, il témoignera avec émotion de l'inédit challenge qui devait changer le cours de son existence. «Mon frère Zouaoui me sollicite pour remplacer le violoniste défaillant de son groupe appelé à animer un mariage. Je lui ai répondu mais mon frère, je ne connais rien à votre musique. Il insista : ‘‘Tu es un bon violoniste, suis-nous et fais comme nous’’.
J'allais découvrir une véritable montagne et je m'étais dit que jamais je ne pourrai parvenir à son sommet». Son chemin vers les crêtes ne sera balisé ni par la zaouiya ni par les fnadeq, même s'il va volontiers à la rencontre de ceux qui faisaient autorité dans la société musicale constantinoise. Mohamed-Tahar rappelle, avec un air malicieux, ses remontées en direction de Djebel Ouahch, en Vespa, avec son véritable sherpa, cheikh Abderrahmane Kara Baghli, dit ’Abeïd, et il aura l'intelligence de solliciter, d'écouter et d'apprendre – auprès de Abdelkader Toumi, Ma’mar Benrachi.
Sa mémoire hors norme, son souci de s'affirmer, signeront sa véritable (re)naissance constantinoise. Au passage, il y aura ce notable radio-crochet de la place d'Armes de Annaba où, au-delà du prix qui le distingue, Mohamed-Tahar rencontre ce qui allait faire son exceptionnelle carrière : le public. Même s'il consent aux normes et à l'animation de fêtes familiales – il aura vite fait de se faire un nom à Constantine et dans ses périphéries –, cette première séquence constantinoise sera celle de l'incursion décisive dans une modernité dont les principaux supports allaient être la radiodiffusion et le disque et, de manière relativement précoce, la télévision.
MANAGER CULTUREL, HOMME-ORCHESTRE. L'expérience de la maison Déréphone – en association avec son ancien mentor Mohamed Derdour – laissera sans doute des traces amères mais Mohamed-Tahar en tirera des enseignements de longue portée.
Les 45 tours Déréphone, incunables aujourd'hui, sont devenus quasiment des objets «collector» et Mohamed-Tahar, dès lors, prend date et se distingue de ses amis Darsouni et Bentobbal engagés dans un autre magistère. La discographie Déréphone permet d'avoir une vue documentée sur les choix de l'artiste et restitue dans le même mouvement la rapidité de l'ancrage dans les arcanes des musiques citadines de la médina constantinoise.
La création de la société d'édition musicale Sawt El Menyar, au milieu des années 1960, conforte d'abord une puissante intuition de Mohamed-Tahar selon laquelle ce serait désormais le marché qui allait sanctionner le travail artistique et non plus le seul cercle des initiés. L'enjeu serait le public, le plus large, le plus diversifié, où qu'il pouvait se trouver, et Mohamed-Tahar a su, avec talent et générosité, aller à sa rencontre, tisser des liens, créer, de Constantine à Annaba, en passant par Souk-Ahras, Tébessa, El Eulma, Guelma, un véritable réseau d'aficionados qui disaient «El Hadj» tout simplement avec affection. Il est vrai que l'accomplissement, en 1966, des rites du Hadj – en compagnie notamment de la moudjahida Hadja Fatima-Zohra Sa’daoui, dite Tata – avait rajouté à son aura et contribué à fixer l'image désormais établie de l'artiste que connaissent les Algériens.
Producteur et distributeur de ses propres œuvres, Hadj Mohamed-Tahar n'en n'était pas moins actif sur la scène musicale nationale au travers des concerts télévisés et des soirées de gala qu'il animait en particulier à Alger où il fédérait notamment les mélomanes Estiens. Ses proches témoignent du sens singulier qu'avait alors Hadj Mohamed-Tahar des attentes de son public et souvent surprenait-il ses musiciens, à l'entrée sur scène, en bouleversant les programmes répétés. Hadj Mohamed-Tahar aura tôt intégré dans sa culture professionnelle les éléments essentiels de l'économie du spectacle, qui veillait aux conditions de ses prestations comme le ferait un imprésario qualifié et sur scène chacun savait son attention à la balance, à la place de chaque instrument. Véritable metteur en scène de sa carrière, il savait disposer d'arguments artistiques qui le situaient sans ambigüité hors des carcans et des normes convenus.
Luthiste émérite, violoniste d'exception, flûtiste, clarinettiste, chacun de ces instruments était aussi une aventure, une empreinte de plus, une quête jubilatoire d'une identité artistique irréductible aux influences et aux commencements.Plus clairement et bien plus rapidement que beaucoup d'autres – de ses épigones, en particulier – Hadj Mohamed-Tahar Fergani avait aussi eu l'intuition de l'imbrication de la culture et notamment des musiques dans les enjeux de société et de pouvoir.
D'une certaine manière, son archet et sa voix auront de fait accompagné, bien au-delà des festivals et des manifestations publiques, la mise en place des institutions de l'État-nation et ses proches savaient tout l'attachement que lui portaient les premiers responsables de l'État algérien. Il aura été, de ce point de vue, l'un des plus constants et des plus représentatifs ambassadeurs de la culture algérienne à travers le monde.
DES DIMENSIONS MECONNUES. Les chercheurs se poseront un jour sérieusement la question de savoir de quoi Hadj Mohamed-Tahar Fergani était-il le nom ? Ils récuseront alors l'étroitesse de costumes plus taillés dans la puissance des conventions qu'à la mesure de la qualité de ses contributions au patrimoine musical national. La convocation du «Rossignol», outre d'être facile, ne rend pas compte des capacités vocales hors normes de l'artiste. Qui, comme lui, pouvait travailler sur des gammes aussi hautes ou encore adapter la tessiture de sa voix aux nécessités de tel ou tel type de mode ou de genre ?
Un jour, nos musicologues reviendront sur tous ces aspects. Et puis il y a la prégnance des choix artistiques qu'il faut prendre en compte. Hadj Mohamed-Tahar – ses enregistrements privés ou publics en font foi – a excellé tous genres confondus et il se définissait, comme le rappelle avec émotion son fils Rachid, comme «celui que Dieu a envoyé pour faire le bonheur des gens – zahi ennass» et s'il se vivait un peu comme un «primus inter pares», il avait toujours reçu les hommages (innombrables) avec un réel sens de l'humilité. N'y avait-il alors que le malouf dans sa vie ? Le rappel s'impose que le malouf demeure le corpus musical de référence de Constantine mais que les musiques citadines de la médina – mahdjouze, zedjel, 'aroubi, quadriat, hawzi, madih – ne s'y réduisent pas.
Si Hadj Mohamed-Tahar Fergani a tout chanté du patrimoine constantinois, il aura été, sans doute aucun, le premier à décloisonner les musiques citadines algériennes en s'appropriant les corpus de la Çan’a ou du Gharnati (ndlr : les écoles d’Alger et de Tlemcen).
Sa quête artistique l'avait conduit à ses tout débuts vers quelques œuvres tunisiennes et, bien plus tard, il convoquera avec élégance le patrimoine marocain. À sa manière, il aura plus plaidé pour la liberté, les rencontres, les convergences que pour l'enfermement, fut-ce dans un écrin aussi prestigieux que celui de sa ville natale.
«C'est en voyant l'immensité de la foule qui l'accompagnait ce vendredi que j'ai pris la réelle mesure de son importance», confie le proche parmi les proches, son fils Salim.
ABDELMADJID MERDACI
Auteur du Dictionnaire des musiques citadines de Constantine, éditions du Champ Libre, Constantine.
1°) Daira :
Pièce vocale de rythme libre exécutée à l’unisson strict.
2°) Mestekhber çanâa (Alger), Mishalia (Tlemcen) :
Prélude instrumental de rythme libre, exécuté à l’unisson.
3°) Touchia :
Pièce instrumentale servant d’ouverture, composée dans le mode de la Nouba sur un rythme binaire ou quaternaire (2/4; 4/4).
4°) M’cedder :
Lent, solennel et majestueux, joué sur un rythme 4/4, le M’cedder est une pièce vocale et instrumentale la plus importante de la Nouba.
5°) B’tayhi :
Deuxième pièce vocale et instrumentale, construite sur le même rythme que le M’cedder (4/4 moins lent).
6°) Derdj :
Mouvement vocal et instrumental construit sur un rythme binaire, plus accéléré que les deux précédentes pièces.
7°) Touchiat el Inçirafate :
Pièce instrumentale construite sur un rythme ternaire, annonçant une partie accélérée et vive.
8°) Inçiraf :
Mouvement vocal et instrumental à rythme ternaire (5/8).
9°) Khlaç :
Ultime pièce chantée de la Nouba; il est exécuté sur un rythme alerte et dansant (6/8), s’achevant par une phrase large et libre.
10°) Touchiat el Kamal :
Touchia du final (final qui a également pour sens perfection); c’est une pièce instrumentale construite sur un rythme binaire ou quaternaire.
Le passage d’un mouvement à un autre se fait par l’intermédiaire d’une ritournelle musicale appellée Kursi (litéralement chaise), pour respecter l’alternance entre les pièces chantées. De même qu’entre deux mouvements, généralement entre le Btayhi et le derdj, l’orchestre s’arrête pour laisser l’occasion au chanteur de montrer sa virtuosité, vocale relayé par un dialogue instrumental de la kouitra, du violon, de la flûte... C’est l’istikhbar (Mawwal en orient) ou envolée lyrique sans rythme mais dûment codifiée et mesurée. C’est également l’occasion de provoquer l’émotion (tarab) à travers un beau poème en arabe classique.
Sur les 24 rapportées généralement par la tradition, 12 noubate seulement (pl. de Nouba), marquées par le temps et les hommes nous sont parvenues. Ce sont les noubate Dhil, M’djenba, H’ssine, Raml-el-Maya, Raml, Ghrib, Zidane, Rasd, Mezmoum, Sika, Rasd-eddil et la nouba Maya. D’autres, telles les noubate Djarka, Moual et Aârak, n’ont conservé que leur deux derniers mouvements (Inçiraf et khlaç). Cette Musique aurait selon la tradition, connu 24 modes d’ou les 24 Noubate correspondant aux 24 heures du cycle d’un jour entier. Toutes les noubate, connues actuellement, empruntent leur échelle aux 07 modes fondamentaux suivants : Reml-El-Maya, Aârak, Zidane, Moual, Sika, Mezmoum et Djarka. Ainsi, le mode Zidane à titre d’exemple est le mode de la nouba du même nom mais également celui de la nouba Raml et de la nouba M’djenba, le mode Moual est usité pour les noubate Rasd eddil, Dil, Maya et Moual etc.
Leur support poétique quant à lui n’a subi que de faibles altérations. Il est représenté par le Mouwashah et son dérivé populaire le Zajal; inventé au 9° siècle en Andalousie, le mouwashah connut un âge d’or avec Ibn Tufaïl, Ibn Bajja (Avempace), Ibn Rochd (Averroès), Lissane-Eddine Ibnoul Khatib... Il correspond à une composition poétique à rimes et mètres multiples (quintil et septain) qui permet par sa rupture avec la longue qacida arabe à une seule rime, de plus grande subtilités et possibilités de création et de composition musicale. Cette tradition musicale andalouse va donner naissance à plusieurs genres de musiques citadines qui puisent leurs sources dans la poésie et la mélodie du terroir. Ces genres plus vifs sont représentés par les N’qlabate, le Haouzi, le Aroubi, le Zendani, le Chaâbi enfin (étymologiquement : populaire) qui en est le dérivé le plus récent; ce dernier se distingue cependant, par des rythmes spécifiques et une recherche particulière de l’ornementation et de l’accentuation vocale.
Instrumentation :
Les instruments, liés à cette forme musicale s’articule autour du luth et ses dérivés (tel que le luth aârbi, la kouitra), le qanoun (psaltérion, cithare), le rebab (rebec), le Nay (flûte oblique en roseau) tandis que le rythme est au départ assuré par les tbiblat et le tar (sorte de tambour sur cadre circulaire à une peau, portant de petites cymbales). Sur cette orchestration de base sont venus se greffer avec plus ou moins de bonheur d’autres instruments empruntés à la gamme tempérée. Nous citerons le violon et le violon alto (Kamendja), la mandoline et le piano. Ces instruments à gamme fixe (le piano surtout) tout en enrichissant les ensembles andalous, tendent à atténuer, voir effacer les nuances que pouvaient seule rendre l’orchestration originelle. Le rythme quant à lui est désormais élargis à la derbouka, sorte de tambour dont la plus grande ouverture est recouverte d’une membrane.
Music.art.dz
Sur les 24 noubas qui existent, on n'en connait que 12 complètes. Il s'agit : Nouba Dhil, Nouba Ghrib, Nouba Hsine, Nouba Maya, Nouba Mezmoum, Nouba Mdjenba, Nouba Rasd, Nouba Rasd Eddil, Nouba Reml, Nouba Reml Maya, Nouba Sika, Nouba Zidane.