2 mai 2006 2 02 /05 /mai /2006 08:41

Promesse avait été faite aux algériens appelés à combattre les nazis pour libérer la France : «Aidez-nous à libérer la France, vous aurez votre liberté». Ils sont partis par milliers combattre les nazis aux côtés des français et beaucoup n'en revinrent jamais. La fin de la guerre fut le début d'un rêve algérien écrasé par une répression sanglante au cours d'une manifestation populaire non-violente d'algériens réclamant leur indépendance.

8 mai 1945 , les massacres français en Algérie

Les massacres de Sétif, "Un certain 8 Mai 1945"

Le 8 mai 1945, le jour même de la victoire alliée sur le nazisme, de violentes émeutes éclatent à Sétif, en Algérie. C'est un lointain prélude à la guerre d'indépendance.

Les manifestants sont des Algériens de confession musulmane dont beaucoup se sont battus dans les troupes françaises qui ont libéré l'Italie du fascisme. Ils souhaitent avoir leur part dans le retour de la paix et la victoire des forces démocratiques.

Origines du drame

Le 7 mars 1944, le gouvernement provisoire d'Alger a publié en signe d'ouverture une ordonnance qui octroie la citoyenneté française à 70.000 musulmans (l'Algérie compte à cette date près de 8 millions de musulmans pour moins d'un million de citoyens d'origine européenne ou israélite !).

Mécontents de ce geste qu'ils jugent très insuffisant, les indépendantistes du PPA (Parti Populaire Algérien) de Messali Hadj et de l'UDMA de Ferhat Abbas projettent un congrès clandestin qui proclamerait l'indépendance. Ferhat Abbas fonde dès mars 1944 une vitrine légale : les Amis du Manifeste et de la Liberté (AML).

L'année suivante, les deux grands leaders algériens, Messali Hadj et Ferhat Abbas, se proposent de profiter de la liesse de la victoire pour brandir le drapeau de l'Algérie indépendante.

Mais Messali Hadj est arrêté en avril 1945 et déporté dans le sud du pays puis au Gabon. Cette provocation des autorités françaises sème la consternation chez les musulmans.

Le 1er mai, une manifestation du PPA clandestin réunit 20.000 personnes à Alger, dans la rue d'Isly. Pour la première fois est arboré en public le drapeau des indépendantistes. La manifestation se solde par 11 morts, des arrestations, des tortures... et un afflux d'adhésions au PPA !

Le matin du 8 mai, jour de la capitulation de l'Allemagne nazie, une manifestation se reproduit à Sétif aux cris de «Istiqlal [indépendance], libérez Messali».

Les militants du PPA ont reçu la consigne de ne pas porter d'armes ni d'arborer le drapeau algérien mais un scout musulman n'en tient pas compte et brandit le drapeau au coeur des quartiers européens.

La police se précipite. Le maire socialiste de la ville, un Européen, la supplie de ne pas tirer. Il est abattu de même que le scout. La foule, évaluée à 8.000 personnes se déchaîne et 27 Européens sont assassinés dans d'atroces conditions.

D'origine spontanée, l'insurrection s'étend à des villes voisines du Constantinois : Guelma, Batna, Biskra et Kherrata, faisant en quelques jours 103 morts dans la population européenne (y compris les soldats et... les tirailleurs sénégalais).

Dès le 9 mai, à Guelma, le sous-préfet André Achiary prend la décision imprudente de créer une milice avec les Européens et de l'associer à la répression menée par les forces régulières.

Cette répression est d'une extrême brutalité. Officiellement, elle fait 1.500 morts parmi les musulmans, en réalité de 8.000 à 20.000 (le gouvernement algérien actuel avance même le chiffre de 45.000 victimes mais la propagande n'est pas loin).

«Certains des miliciens se sont vantés d'avoir fait des hécatombes comme à l'ouverture de la chasse. L'un d'eux aurait tué à lui seul quatre-vingt-trois merles...», notera plus tard le commissaire Berger, dans son rapport sur les événements .


L'aviation elle-même est requise pour bombarder les zones insurgées. Après la bataille vient la répression. Les tribunaux ordonnent 28 exécutions et une soixantaine de longues incarcérations (

Lucide malgré tout, le général Duval, responsable de la répression, aurait déclaré le 9 août 1945 dans un rapport aux Français d'Algérie : «Je vous ai donné la paix pour dix ans, mais si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable» (

 


histoire Pour que l'autre 8 mai 1945 ne soit pas oublié

 

Le jour même où l'Europe fêtait sa libération du joug nazi, une manifestation pacifique à Sétif était réprimée dans le sang, faisant plusieurs milliers de victimes.
Coauteur avec Bernard Langlois de Massacres de Sétif, un certain 8 mai 1945, Mehdi Lalloui revient sur les évènements et la mémoire officielle.
Il était présent lundi au siège du PCF à Paris, pour la projection de ce film et une soirée de témoignage en présence de Henri Alleg.


« Je suis né d'une mère folle.
Très géniale, elle était généreuse, simple.
Et des perles coulaient de ses lèvres.
Je les ai recueillies sans savoir leur valeur.
Après les massacres de 1945,
[je l'ai vue devenir folle.
Elle est la source de Tout. »

Kateb Yacine

Lorsque les journaux d'Alger sortent des presses le 17 mai 1945, ils ne savent pas encore que de jeunes lycéens du lycée Albertini, dont Kateb Yacine (quinze ans), sont en prison dans la caserne de Sétif. De cette même caserne où l'on fusille des émeutiers sont partis les libérateurs de la mère patrie dont les journaux célèbrent le retour ce même jour : « Les glorieux tirailleurs algériens qui, de l'Italie au Rhin, se sont illustrés dans cent combats, accumulant les faits d'armes et les citations, rentrent maintenant au pays dans l'euphorie de la victoire. Sous une pluie de fleurs, l'héroïque 7e RTA (régiment des tirailleurs algériens) à fait ce matin en Alger une rentrée triomphale. » Ces libérateurs - auxquels les plus hautes autorités de la République ont rendu un hommage remarqué lors des cérémonies du soixantième anniversaire du débarquement en Provence en août 2004 - découvriront l'inconcevable tragédie en regagnant leurs villages.

 

Ce 8 mai 1945, les militants nationalistes qui organisent à Sétif et à Guelma les défilés de la victoire contre le nazisme ne sont pas dans une logique insurrectionnelle. Ils n'en ont ni l'intention ni les moyens. Ils ont par contre en échos les déclarations du général de Gaulle à Brazzaville (1) : « (...) En Afrique française [...] comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n'y aurait aucun progrès qui soit un progrès si les hommes, sur leur terre natale, n?en profitaient pas, moralement et matériellement, s'ils ne pouvaient s?élever peu à peu jusqu'au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C?est le devoir de la France de faire en sorte qu'il en soit ainsi. » Les nationalistes ont également en mémoire la conférence de San Francisco (2) qui vient de s'ouvrir, et dont les déclarations alliées réaffirment le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

En mêlant les premiers drapeaux algériens à ceux des nations victorieuses, les manifestants pensent que ce 8 mai annonce l'ouverture d'une nouvelle ère : celle de la liberté. Ils rencontreront pour solde de tout compte les mitrailleuses. II est rapidement établi que c'est la police qui la première ouvrit le feu contre les manifestants de Sétif, à hauteur du Café de France. Et ce dont les historiens sont sûrs aujourd'hui, c'est que l'émeute qui s'ensuivit coûta la vie à 103 Européens d'Algérie. La répression à l'encontre de la population algérienne fut féroce. Elle entérina la rupture avec la France, rupture qui trouvera son prolongement le 1er novembre 1954, début de la guerre d?Algérie.

Combien de morts à Sétif, Guelma, Kherrata et dans tout le Constantinois ? 5 000, 10 000, 20 000 ? Soixante ans plus tard, on ne connaît pas le nombre de victimes indigènes et les polémiques sur les chiffres révèlent l'incongruité de la question. Quant à Kateb Yacine, il échappera au peloton d'exécution et sera relâché au bout de quelques mois. II deviendra le grand poète que l?on sait et son oeuvre est étudiée dans des centaines de lycées de France.

Depuis des années, nous assistons, malgré les interpellations des associations, à un silence assourdissant de l'État concernant l?autre 8 mai 1945 dans le Constantinois. Il en fut de même jusqu?à récemment pour tout ce qui touchait à la guerre d?Algérie, et particulièrement à la systématisation de la torture à l?encontre des Algériens nationalistes, ou supposés.

Le seul timide début de reconnaissance - qu'il faut saluer - fut les quelques paroles de l'ambassadeur de France en Algérie. Lors d'une visite dans le Constantinois en mars dernier, il parla des massacres de Sétif comme d'une « tragédie inexcusable ». Mais pendant qu'un pas se faisait à Sétif, à l'Assemblée nationale se nouait un véritable déni de vérité, révélant que dans les inconscients était encore enfouie la mentalité du colonisateur. Ainsi, les quelques députés qui firent voter le 23 février 2005 un texte de loi concernant « la reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés », trouvèrent l'occasion de consacrer dans l'article 4 « le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord... ». Cet article de loi est une véritable provocation et détonne avec les propos du premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, qui déclarait à Toulon, lors des cérémonies du débarquement de Provence en août 2004, à l?adresse des Algériens :

 

« Nous franchissons une étape historique qui est la reconnaissance d'une histoire qui a porté sa part de blessure, de cicatrices. Il faut savoir se souvenir, il ne faut pas oublier. »

En 2007, la Cité nationale de l'histoire de l'immigration ouvrira ses portes à Paris et nous sommes nombreux à nous en féliciter. Mais, comment expliquera-t-on aux lycéens qui viendront s'enrichir de l'universel les drames du colonialisme qui jalonnent l'histoire ? Comment parlera-t-on de l'immigration algérienne en France si on gomme du calendrier, la date du 17 octobre 1961 ? Comment abordera-t-on l'Afrique si l'on minimise l'histoire du commerce triangulaire et de l'esclavage ? L'éducation à la citoyenneté devrait prendre en compte les mémoires partagées et l'exigence d'une histoire commune. C'est ainsi que nous avons été parmi les premiers signataires, à l'automne dernier, du « Manifeste pour la réappropriation des mémoires confisquées » aux côtés de ces descendants d'Algériens, que l?on continue par raccourci à nommer les enfants de harkis. Publiquement, nous avons affirmé que les douleurs des autres étaient aussi les nôtres et qu'ensemble nous voulions « nous approprier notre histoire et en assumer toutes ses parts d'hombre et de lumière ».

Notre propos n'est pas d'alimenter les guerres de mémoires. La démocratie ne pourra jamais se nourrir de l'occultation et l'on ne pourra pas effacer les évènements qui, hier, ont mis en contradiction les valeurs de la République et sa devise. Seule une histoire assumée permet de tisser les fils de l'avenir. Tronquée, elle est source de fracture et d'école de l'impunité. Sans elle, les descendants des populations issues des colonisations, qui sont l'objet depuis plus de vingt ans des discours intégrationnistes, demeurent suspendus à l'amnésie officielle face aux mémoires conflictuelles et douloureuses de leurs ascendants.

Les guerres de mémoires et les dissimulations font le jeu des partisans des discours xénophobes dans notre pays. Ce sont ces derniers qui, depuis des décennies, jouent avec les peurs de l'étranger et stigmatisent l'immigré et ses descendants. C'est pourquoi nous affirmons que ce combat pour les reconnaissances des drames coloniaux et contre les occultations de l'histoire de France contribue au combat contre le racisme. II contribue également à la reconstruction de la dignité de millions de descendants de colonisés, dont beaucoup aujourd'hui sont des citoyens français. Cette dignité exige que l'histoire commune soit reconnue et acceptée et que l'on arrête de considérer ces millions « d'autres » comme des citoyens du « deuxième collège ».

II y a dix ans, je réalisais le premier film montré en Europe sur l'autre 8 mai 1945 (3). Ce film fut diffusé, malgré les tombereaux d'insultes et de protestations des nostalgiques de « feu l'Empire français » et de la « pacification en Algérie », que l?on retrouve dans les hospices du Front national. Parmi mes cent témoins, il y avait Lounès Hanouz, ce caporal de tirailleurs algériens, revenu au pays couvert de décorations. Je me souviens de Lounès Hanouz et de son amour de cette France qu'il avait libérée et qu'il visitait lorsque ses petits moyens le permettaient. Je me souviens de ses larmes et de sa colère, un demi-siècle plus tard, à l'évocation du meurtre de ses quatre frères et de son père, jetés vivants du haut des gorges de Kherrata, par des éléments de l'armée française. Lounès Hanouz racontait que dans la bibliothèque de son père, qui fut pillée et brûlée par les milices coloniales, il y avait les œuvres complètes de Rousseau, Voltaire, Montaigne, Victor Hugo... Je me souviens enfin de ses paroles : « Ma seule compensation, c'est qu'éclate un jour la vérité et que la France reconnaisse le mal qu'elle nous à fait ! » Les voix des survivants de Sétif, Guelma, Kherrata ne sont plus que de minces filets qui vont disparaître. Mais les porteurs de cette tradition de fraternité dont nous sommes légataires grâce à la République seront encore là. Et s'il existe des lois d'amnistie pour les crimes passés, les lois d'amnésie sont pour nous inopérantes. Aussi, le traité d'amitié que voudraient signer prochainement la France et l'Algérie sera-t-il le paraphe pour le pétrole et le gaz naturel algériens ? Cela risque d'être le cas si l?on continue à taire les drames d'hier.

II est donc temps que nos gouvernants reconnaissent dans un acte fort et officiel la tragédie de Sétif, Guelma, Kherrata... Cette parole, loin d'être une repentance, permettrait enfin d'entrouvrir les portes du respect et de la dignité que l?on refuse aux Français issus des multiples péripéties de la colonisation.

Ne pas occulter l'autre 8 mai 1945 serait un acte fondateur et de justice qui jetterait les bases d?une véritable réconciliation. Ne pas occulter l'autre 8 mai 1945 permettrait de bâtir, sans arrière-pensée, une véritable fraternité entre les peuples des deux rives de la Méditerranée. La justice et la fraternité... Résolument.

Mehdi Lallaoui (*)

(*) Réalisateur, président de l'association Au nom de la mémoire.
(1) Conférence de Brazzaville du 30 janvier au 8 février 1944.
(2) Tenue du 25 avril au 25 juin 1945.
(3) Les Massacres de Sétif, un certain 8 mai 1945. Réalisation Mehdi Lallaoui et Bernard Langlois et diffusion sur Arte le 10 mai 1995.

Page imprimée sur http://www.humanite.fr

© Journal l'Humanité

 

AUTRE TEMOIGNAGE

 

Le 8 mai 1945, à Sétif, les nationalistes algériens du PPA (Parti du peuple algérien, interdit) de Messali Hadj (en résidence surveillée) et des AML (Amis du Manifeste et de la liberté) de Ferhat Abbas organisent un défilé pour célébrer la chute de l’Allemagne nazie. Les drapeaux alliés sont en tête. Soudain, pancartes et drapeau algérien sont déployés. Les pancartes portent les slogans « Libérez Messali », « Vive l’Algérie libre et indépendante », « A bas le fascisme et le colonialisme ». Bouzid Saal refuse de baisser le drapeau algérien qu’il porte ; il est abattu par un policier. Cela déclenche l’émeute.

 

Les Algériens qui fuient sous les coups de feu des policiers agressent à leur tour les Européens qu’ils rencontrent. Partout résonne l’appel à la révolte. A 13 heures le couvre-feu est instauré et l’état de siège décrété à 20 heures. L’armée, la police et la gendarmerie sillonnent les quartiers arabes. La loi martiale est proclamée, et des armes sont distribuées aux Européens. La répression sera terrible.

 

Le même jour, à Guelma (est de Constantine), la manifestation pacifique organisée par les militants nationalistes, drapeaux algériens et alliés en tête, est arrêtée par le sous-préfet Achiary. La police tire sur le cortège : quatre morts algériens (aucun européen). Achiary décrète le couvre-feu, et fait armer la milice des colons. Cette milice se livre à un véritable pogrom contre la population musulmane. « Je voyais des camions qui sortaient de la ville et, après les intervalles de dix à quinze minutes, j’entendais des coups de feu. Cela a duré deux mois ; les miliciens ramassaient les gens partout pour les tuer. Les exécutions se faisaient surtout à Kef-El-Boumba et à la carrière de Hadj M’Barak ».  Des centaines de musulmans de Guelma furent fusillés sans jugement.

 

L’écrivain Kateb Yacine était collégien à l’époque ; témoin oculaire des évènements de Sétif, il écrit :
“Je témoigne que la manifestation du 8 mai était pacifique. En organisant une manifestation qui se voulait pacifique, on a été pris par surprise. Les dirigeants n’avaient pas prévu de réactions. Cela s’est terminé par des dizaines de milliers de victimes. A Guelma, ma mère a perdu la mémoire (...) On voyait des cadavres partout, dans toutes les rues. La répression était aveugle ; c’était un grand massacre.”

 

L’insurrection va se propager avec la nouvelle de la répression dans toute la région de Sétif, Guelma, Kherrata, Djidjelli.

 

La répression a été impitoyable et souvent aveugle

 

La répression, conduite par l’armée française, mais aussi par des milices européennes déchaînées, sera d’une incroyable violence : exécutions sommaires, massacres de civils, bombardements de mechtas en bordure de mer par des bâtiments de guerre ... Le bilan ne pourra jamais être établi.

 

Le comble de l’horreur est atteint lorsque les automitrailleuses font leur apparition dans les villages et qu’elles tirent à distance sur les populations qui fuient vers les montagnes. Les blindés sont relayés par les militaires arrivés en convois sur les lieux.

 

De nombreux corps n’ont pu être enterrés ; ils sont jetés dans les puits, dans les gorges de Kherrata. Des miliciens utilisent les fours à chaux pour faire disparaître des cadavres. Saci Benhamla, qui habitait à quelques centaines de mètres du four à chaux d’Héliopolis, décrit l’insupportable odeur de chair brûlée et l’incessant va-et-vient des camions venant décharger les cadavres, qui brûlaient ensuite en dégageant une fumée bleuâtre. 

 

À Kef-El-Boumba, « j’ai vu des Français faire descendre d’un camion cinq personnes les mains ligotées, les mettre sur la route, les arroser d’essence avant de les brûler vivants . » 

 

L’armée organise des cérémonies de soumission où tous les hommes doivent se prosterner devant le drapeau français et répéter en choeur : « Nous sommes des chiens et Ferhat Abbas est un chien ». Certains, après ces cérémonies, étaient embarqués et assassinés. 

 

Dans son rapport sur les massacres de Sétif, le général Tubert écrit :

 

« La raison d’Etat, la commodité d’une répression aveugle et massive parmettant de châtier quelques coupables parmi les milliers d’innocents massacrés, l’immunité administrative de “fait” couvrant par exemple, le sous-préfet de Guelma, fit délibérément et sans excuse arrêter et fusiller, sans autre forme de procès, des musulmans de la ville dont les familles réclament encore en vain une enquête, un jugement ou même une simple explication. »

 

Le nombre de victimes

 

Le nombre de victimes algériennes reste encore aujourd’hui impossible à établir mais on peut l’évaluer à plusieurs dizaines de milliers de morts. Le consul général américain à Alger parlera de 40 000 morts. Les Oulémas plus proches du terrain, avanceront le chiffre de 80 000 morts.

 

Selon l’historienne Annie Rey-Goldzeiguer, « la seule affirmation possible, c’est que le chiffre dépasse le centuple des pertes européennes et que reste, dans les mémoires de tous, le souvenir d’un massacre qui a marqué cette génération ».

 

Après les massacres

 

La barbarie qui s’est déployée à la suite des manifestations du 8 mai 1945 à Sétif et à Guelma marque un tournant dans l’histoire de la lutte nationaliste. Le fossé entre Algériens et Européens ne sera plus jamais comblé. Dans l’immédiat la répression s’abat encore un peu plus sur la direction du mouvement nationaliste. Pour les militants du PPA, le colonialisme a montré son vrai visage. Le temps de la « Révolution par la loi » est révolue et doit faire place à la « Révolution par les armes ».

 

Pour de nombreux militants nationalistes comme Lakhdar Bentobbal, futur cadre du FLN, le 8 mai 1945 symbolise la prise de conscience que l’engagement dans la lutte armée reste la seule planche de salut. C’est à la suite des événements du 8 mai que Krim Belkacem, l’un des six fondateurs « historiques » du FLN, décide de partir au maquis.

 

Des extraits du rapport du général Tubert, après les massacres de mai 1945 

 

Alors que la fraternité régnait sur les champs de bataille de l’Europe, en Algérie le fossé se creusait de plus en plus entre les deux communautés. Déjà les provocations fusent. Les indigènes menacent les Français. Beaucoup n’osent plus se promener avec des Européens. Les pierres volent, les injures pleuvent. Les Européens répliquent par des termes de mépris. "Sale race" résonnait trop fréquemment. Les indigènes n’étaient pas toujours traités, quel que fût leur rang, avec le minimum d’égards. Ils sont l’objet de moqueries, de vexations.

 

Trois faits nous ont été racontés, prouvant l’état d’esprit de la population musulmane :
- Un instituteur de la région de Bougie donne à ses élèves un modèle d’écriture : " Je suis français, la France est ma patrie." Les enfants musulmans écrivent : "Je suis algérien, l’Algérie est ma patrie."
- Un autre instituteur fait un cours sur l’Empire romain. Il parle des esclaves. "Comme nous", crie un gosse.
- A Bône enfin, une partie de football opposant une équipe entièrement européenne à un "onze" musulman doit être arrêtée par crainte d’émeute...

La multiplicité des renseignements qui nous sont parvenus permet d’affirmer que les démonstrations de cet état d’esprit couvraient tout le territoire algérien.

[...] Les musulmans ayant séjourné en métropole comme soldats ou travailleurs ont porté leur attention sur des faits sociaux qui passaient inaperçus aux yeux de leurs parents. Ils font des comparaisons entre leur situation et celle des Européens, qu’ils jugent privilégiés. [...] Ils jalousent les colons propriétaires de grands domaines. Un seul colon règne en maître sur des milliers d’hectares et ils comparent sa richesse à leur misère.

 

 GUELMA
Le sous-préfet de Guelma
    Il faudrait s’arrêter ici. Le pire est à venir.
    C’est à Guelma que le processus sinistre de la répression et de son escalade incontrôlée se révèle dans toute l’étendue de son horreur.
    Guelma se trouve à 200 km de Sétif. Le matin du 8 mai a été calme. La manifestation musulmane, prévue comme dans toute l’Algérie, n’a été programmée qu’à 17 heures, peut-être pour éviter le meeting officiel que les autorités tiennent sur la place Saint-Augustin.
    À l’heure dite, le cortège se dirige vers le monument aux morts. Quelques milliers de personnes défilent drapeaux en tête comme à Sétif, et banderoles déployées.
    Le sous-préfet André Achiary, accompagné de policiers, se place au milieu de la chaussée et stoppe les manifestants. Il interdit au cortège d’avancer et exige la dispersion immédiate. Un dialogue s’engage avec le service d’ordre. Les militants demandent l’autorisation d’aller jusqu’au monument aux morts. Des consommateurs attablés aux terrasses des cafés interpellent le sous-préfet : « Y a-t-il la France ici ? Oui ou non ?… »
    Sortant son arme, Achiary ordonne pour la seconde fois la dispersion et tire en l’air. Mais la foule pousse en avant. Le sous-préfet est bousculé. Il recule. Débordés, les cadres des musulmans tentent de faire refluer leurs gens. Trop tard, déjà les policiers chargent. Ils tirent. Le porte-drapeau Boumaza el-Hamdi s’effondre. D’autres sont mortellement blessés à la baïonnette. C’est la panique, les manifestants jettent des pierres et ce qui leur tombe sous la main avant de s’enfuir. Aucun Européen n’a été tué.
    Achiary ordonne la fermeture des cafés, établit le couvre-feu et donne l’ordre d’armer la milice européenne.
    Dans la soirée, la rumeur de morts à Sétif rejoint celle de Guelma. Des émissaires alertent les tribus de la tuerie et des arrestations. L’émotion fait tache d’huile, les paysans se cachent dans les montagnes.
    Le châtiment est organisé et conduit par Achiary (qui avait été commissaire de police à Alger sous le gouvernement de Vichy, et se proclame désormais gaulliste.) Il est appuyé par le préfet de Constantine. Ordre est donné au général Duval, commandant supérieur des troupes, de lancer ses unités dans une répression exemplaire.
    « Le sous-préfet invite personnellement les Européens à participer aux massacres : ‘’Messieurs les colons, vengez-vous ! ‘’ leur lance-t-il. Dans le lot sont exécutés tous les joueurs de l’équipe de football l’Espérance sportive guelmoise, car un dirigeant du club est soupçonné d’appartenir au PPA. Les corps, arrosés d’essence, sont brûlés sur la place de l’église ou dans les fours à chaux d’Héliopolis… » (Henri Alleg).
    L’action conjuguée des miliciens, des gendarmes, de la police et des troupes, et même des détenus étrangers que Duval réquisitionne, non seulement à Sétif et Guelma mais dans tout le Constantinois, entraînera un nombre incalculable de victimes. Jouant sur les oppositions ethniques traditionnelles, la hiérarchie militaire lance les tirailleurs sénégalais à l’assaut, après leur avoir servi l’habituelle ration d’alcool comme au front.
    « On viole. On étripe. On mutile. On égorge. Une opération considérable de ratissage est menée par le général Raymond Duval à la tête de légionnaires (…) Les fusillades sont innombrables. La répression est sauvage », écrit Yves Courrière. Le même auteur ajoute : « Car on peut parler de massacre. Des douars entiers ont disparu. On trouvera des fosses communes remplies à ras bord de cadavres. »
    Les chars, les automitrailleuses entrent en action. Des centaines d’hommes sont exécutés à la mitrailleuse dans les carrières.
    L’aviation est mise à contribution. En rase-mottes, elle lâche ses roquettes, mitraille les mechtas. La marine est appelée à tirer. Le croiseur de guerre Duguay-Trouin bombarde les villages dans les régions de Kerrata et Taratest. Le croiseur Triomphant ouvre le feu sur le douar Djaoua près de Bougie. Pendant plus de dix jours, c’est une opération de mort qui se déchaîne dans le périmètre de la Kabylie aux Aurès.

Témoignages sur le 8 mai 1945, en Algérie

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1 mai 2006 1 01 /05 /mai /2006 10:59

FILM REPORTAGE ICI

  • Une plaque est apposée sur le pont Saint-Michel en souvenir des disparus. A l'issue du Conseil de Paris du 23 septembre 2001, le texte voté par les élus est le suivant : "A la mémoire de tous les Algériens tués lors de la sanglante répression de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961."
Documents

Communiqué du préfet de police de Paris du 5 octobre 1961
" Dans le but de mettre un terme sans délai aux agissements criminels des terroristes, des mesures nouvelles viennent d'être décidées par la préfecture de police. En vue d'en faciliter l'exécution, il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs algériens de s'abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne, et plus particulièrement de 20h30 à 5h30 du matin. Ceux qui, par leur travail, seraient dans la nécessite de circuler pendant ces heures, pourront demander au secteur d'assistance technique de leur quartier ou de leur circonscription une attestation qui leur sera accordée après justification de leur requête. D'autre part, il a été constaté que les attentats sont la plupart du temps le fait de groupes de trois ou quatre hommes. En conséquence, il est très vivement recommandé aux Français musulmans de circuler isolément, les petits groupes risquant de paraître suspects aux rondes et patrouilles de police. Enfin, le préfet de police a décidé que les débits de boissons tenus et fréquentés par les Français musulmans d'Algérie doivent fermer chaque jour à 19 heures. "

Le quotidien Libération, 18 octobre 1961
"A l'Etoile : des policiers, l'arme ou la matraque au point, poussent sans arrêt de nouveaux Algériens vers les parcs. Il en vient de partout. Dans toutes les rues et les avenues autour de l'Etoile, les Algériens isolés ou en petits groupes marchent sur les trottoirs. Les policiers n'arrivent pas à les canaliser, encore moins à les arrêter, tant ils sont nombreux. Les coups pleuvent. Avenue de la Grande Armée, on entend des détonations. "

Le quotidien Le Figaro, 23 octobre 1961
" Tous les nombreux témoins des manifestations de ces derniers jours ont pu constater que, sauf de très rares exceptions, les manifestants se laissaient appréhender sans la moindre résistance. La police ne fait d'ailleurs état d'aucune arme saisie. Or, il résulte de diverses indications précises et concordantes, portées à notre connaissance que le nombre de blessés musulmans serait très élevé. Il convient d'en déduire que nombre de victimes auraient été frappées après leur arrestation, au cours de scènes de "violence à froid que nous avons déjà dénoncé samedi". Denis Perier-Davile



 
Le 17 octobre 2001, inauguration de la plaque sur le pont Saint-Michel
David Henry, © 2002, tous droits réservés

Fatima Bedar, 15 ans

La collégienne martyre du 17 octobre 1961

On a beau noyer l’histoire de l’immigration algérienne dans les profondeurs de la Seine, elle finira bien un jour par remonter à la surface tel le corps de Fatima Bedar, jeune collégienne retrouvée quinze jours après son décès dans le canal de Saint-Denis.

 

C’était le 17 octobre 1961. Les Français musulmans algériens (FMA) avaient occupé Paris le temps de dire au préfet de police, Maurice Papon, qu’ils étaient des Algériens ; que comme leurs frères, pères, sœurs et mères de la colonie en guerre, ils étaient avec le Front de libération nationale et pour la libération de leur pays du joug du colonialisme français. Pour eux aussi, l’indépendance de l’Algérie n’avait pas de prix. Les ouvriers algériens étaient sortis manifester pacifiquement contre le couvre-feu raciste imposé par Papon aux seuls Algériens à l’exclusion de toutes les autres populations vivant à Paris et sa banlieue. Plus qu’une commémoration, ce 45e anniversaire de la chasse au faciès, ordonnée par les plus hautes autorités de Paris, est celui d’un retour, celui du transfert de la France vers l’Algérie, des restes post-mortem de la jeune chahida Fatima Bedar. Née le 5 août 1946 à Béjaïa, elle n’a que cinq ans quand elle rejoint, avec sa mère et sa sœur, son père à Sarcelles. Fatima était l’aînée de quatre sœurs et deux frères auxquels s’ajouteront ultérieurement deux autres sœurs. Fatima ne les verra pas, car entre elle et eux des mains criminelles se sont interposées pour mettre fin à sa vie. Comme tous les Algériens qui vivaient dans la banlieue parisienne, son père Hocine, employé à Gaz de France, domicilié à Stains en Seine-St-Denis, avait tenu à répondre présent à l’appel de la Fédération de France du FLN. Mon propos n’est pas de faire ou refaire l’historique du 17 octobre 1961. D’autres en ont fait leur objet de recherche. Nous voulons tout simplement contribuer au devoir de mémoire en faisant revivre le temps d’un souvenir, qui se voudrait ineffaçable, la figure angélique de Fatima. La sortir de l’oubli, la restituer à son pays, à l’histoire de l’Algérie pour laquelle elle a fait don de sa vie. Tel est l’objet de ce modeste papier. Cette chahida, de 15 ans passés de 2 mois et 12 jours, ne constitue qu’une pièce d’un puzzle éclaté en mille morceaux dont la reconstitution exige des moyens appropriés et des sacrifices humains à la mesure des objectifs que s’assigne tout chercheur. C’est dans cet esprit que nous avons organisé, entre autres, deux tables rondes. L’une le 17 juin 2002 en hommage à la moudjahida Baya Hocine décédée le 1er mai 2000, l’autre le 16 octobre de la même année en hommage précisément à Fatima Bedar. Mais qui est Fatima Bedar ? Réponse courte à une question courte : une élève du collège commercial et industriel féminin sis rue des Boucheries, à Saint-Denis. Comment devient-on chahida quand on n’a que 15 ans et qu’on réside en France ? Y a-t-il d’abord un âge à cela ? Il faut inverser la question et se demander comment cette adolescente au regard doux, à la coiffure soignée, au sourire angélique, au visage serein, malgré des sourcils prononcés et une tenue vestimentaire simple mais de bon goût, a pu se retrouver le soir du 17 octobre 1961 au fond des eaux mortelles de la Seine ? Elle n’avait pourtant pas l’air d’une enfant revêche, elle n’était pas rebelle à l’autorité paternelle. Elle ne portait pas non plus en elle les signes d’une enfant travaillée par le militantisme et l’engagement jusqu’au sacrifice suprême. Pour répondre à ces questions et à d’autres qui se poseront par la suite, tout un travail d’enquête s’impose. On ne vient pas au militantisme comme on va faire ses emplettes un couffin à la main. Les dures conditions de vie et de travail imposées de fait à l’émigration maghrébine en France, particulièrement ceux vivant dans la banlieue parisienne, renvoyaient les ouvriers algériens de Renault-Billancourt, de Peugeot, du bâtiment, des mines… à un passé qu’ils avaient laissé loin derrière eux en Algérie. Saint-Denis n’était pas le ghetto de Nanterre, mais la misère humaine de ces ouvriers des colonies qui était partout la même. C’est dans ces foyers, parmi les ouvriers maghrébins qu’est née l’Etoile nord-africaine. Le nom, les idées du père du nationalisme algérien, Hadj Messali, faisaient partie des rudiments de la culture militante de chaque ouvrier. La photo du zaïm constituait un élément du mobilier familial, aussi modeste était-il. L’histoire mouvementée de l’ENA, du PPA et du PPA-MTLD, les incarcérations répétées du zaïm, les interdits en tous genres qui le frappaient et son exil faisaient partie de la culture historique diffuse des ouvriers perquisitionnés de nuit dans les meublés, dans les foyers nord-africains, dans les bidonvilles et autres espaces de regroupement de l’immigration algérienne. Vint le 1er novembre 1954, les premières cellules FLN en France, les attaques contre les harkis, l’incendie dans la nuit du 24 au 25 août 1958 par les commandos de la Fédération de France du FLN des raffineries de Mourepiane près de Marseille. La guerre d’Algérie avait franchi les portes de Paris et de la métropole. Le sigle FLN éclipse, non sans peine, le MNA qui livre une autre guerre à son rival. Les autorités françaises multiplient les contrôles d’identité, les rafles, les séquestrations, la torture des Algériens. Les disparitions par noyade, les pendaisons sauvages au Bois de Boulogne qui avaient commencé bien avant le 17 octobre, suscitaient l’inquiétude de certains journaux comme Le Monde ou Témoignage chrétien. Fatima a baigné dans ce climat d’angoisse, de terreur et de lendemains incertains, celui de ne pas voir revenir son père la nuit tombée. Fatima avait 8 ans en novembre 1954, 15 en 1961, un âge où la curiosité est la mère des écoles. Mais Fatima était connue pour son sens des responsabilités. Elle secondait sa mère dans les travaux ménagers en même temps qu’elle assurait le suivi scolaire de sa jeune sœur Louisa qui voyait en elle une seconde maman et accompagnait le petit Djoudi à l’école maternelle. Bref, c’était jusque-là une fille modèle avec en plus des responsabilités d’une jeune fille moderne. L’annonce du 17 octobre brouillera toutes les cartes. Tout change brusquement. En décryptant à partir de l’une de ses dernières photos les traits de cette collégienne tout à fait comme les autres, on découvre une autre Fatima. Elle paraît grave et surtout déterminée. Les Bedar gardent en mémoire deux 17 octobre. Celui d’une discussion animée entre Djida, la mère et sa fille et celui de la disparition de Fatima. Les parents ne voulaient pas que leur fille prenne part à la manifestation prévue le soir-même. Sa mère l’avait chargée de garder ses frères et sœurs. La détermination de Fatima était telle, qu’elle sortira en courant du domicile familial qu’elle quitta à jamais. Dans sa course vers l’inconnu et malgré la tension entre elle et sa mère, Fatima n’avait pas oublié de prendre avec elle son cartable. C’était mardi et elle avait classe. Le 18 octobre, son père signale sa disparition au commissariat de Saint-Denis Banlieue. Un procès-verbal daté du même jour en fait foi. Hocine et son épouse que suivait le petit Djoudi, la chercheront en vain jour après jour dans les rues de Stains. Les recherches prendront fin le 31 octobre avec la découverte par les pompiers, à la 7e écluse du canal de Saint-Denis de la dépouille d’une jeune fille qu’ils venaient de repêcher. Le corps était dans un état de décomposition avancé. Il était méconnaissable. Les Bedar ne l’identifièrent que grâce aux longues et épaisses nattes châtain foncé de leur fille disparue la nuit du 17 au 18. Quant au cartable, il sera remis le 1er novembre au père par le commissariat de police de Saint-Denis. Une porte venait de se fermer sur les Bedar et une autre allait s’ouvrir, celle du silence et le refus de dire. Djida rendra l’âme le 3 avril 2003 dans la douleur de la perte cruelle de sa fille aînée. Hocine Bedar, aujourd’hui malade, sa sœur Louisa et son frère Djoudi se souviennent des derniers moments qui opposèrent Fatima à sa mère. Ils gardent en mémoire le cartable restitué par la police, les recherches sans succès dans les rues de Stains dans l’espoir de trouver Fatima. Ils se souviennent du corps tuméfié découvert quatorze jours après sa sortie du domicile. Ils se souviennent de l’inhumation le 4 novembre 1961 de la chahida Fatima Bedar au cimetière communal de Stains. Ils se souviennent de tant et tant de choses. « Mais qui a tué Fatima Bedar ? », s’est interrogé Jean-Luc Einaudi. On ne le saura jamais. Mais ce que l’on sait, c’est qu’au commissariat de Saint-Denis et au poste de police de Stains, dépendant de Saint-Denis, des policiers avaient, depuis des semaines, pris l’habitude de jeter des gens dans le canal et dans la Seine. Sans commentaire.
L’auteur est : Maître de conférence - Département d’histoire Bouzaréah, Alger

Références : 1- Jean-Luc Einaudi : La bataille de Paris. Seuil, Paris, 1991. 2- Idem. : Octobre 1961, un massacre à Paris. Fayard, Paris, 2001 ,385p. 3- Malika El Korso (sous la direction de) : Femmes au combat : hommage à Baya Hocine.Table ronde organisée par le laboratoire Encyclopédie des Figures historiques de la révolution algérienne (1954-1962) ; Centre national d’étude et de recherche sur le Mouvement national et la révolution du 1er Novembre 1954 ; 17 juin 2002. 4- Idem : Militants et militantes de la Fédération de France du FLN et le 17 octobre 1961 : hommage à Fatima Bedar ; idem ; 16 octobre 2002. 5- Fédération de France du FLN, section femmes : Les manifestations des femmes algériennes en France brochure octobre-novembre 1961, 63p. 6- Linda Amiri : La Bataille de France. La guerre d’Algérie en métropole. Laffont ; Paris 2004. 235p. Voir également : 1- Ali Haroun : La 7e Wilaya, la guerre du FLN en France 1954-1962, Seuil, Paris , 1986 ; Ed ; Rahma, Alger, 1992, 522p. 2- Olivier Le Cour Grandmaison (sous la direction) : Le 17 octobre 1961, un crime d’Etat à Paris. Ed. La Dispute, Paris, 2001, 282p.

Malika El Korso ,El watan,16/10/2006

Guerre d'Algérie - Articles de presse Française sur la nuit du 17 octobre 1961 + ReportagesGuerre d'Algérie - Articles de presse Française sur la nuit du 17 octobre 1961 + Reportages
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14 avril 2006 5 14 /04 /avril /2006 22:13

 

 

Témoignages

Le président algérien Abdelaziz Bouteflika a inauguré cet été une stèle à la mémoire des Français qui ont combattu aux côtés des Algériens lors de la guerre de libération. Un geste politique et symbolique fort, passé inaperçu. Alors que le 1er novembre marque en Algérie l'anniversaire du déclenchement de la révolution armée, un ancien appelé revient sur la réhabilitation de ces héros oubliés.

02/11/02 : Ils s'appelaient Maurice, Raymonde, Henri ou Lucette. Français d'Algérie, ils ont combattu auprès des Algériens lors de la guerre de libération. Pourtant, peu d'entre eux sont sortis de l'anonymat. En juillet dernier, le président Abdelaziz Bouteflika a inauguré une stèle, située à Alger entre la place des Martyrs et l'entrée de la commune de Bab el Oued, réhabilitant ses " porteurs de valises " oubliés. Un hommage porté à ces hommes et femmes " épris de paix et de liberté, qui ont témoigné avec sacrifice et courage, pour la dignité du peuple français et l'honneur de la France, durant la guerre de libération nationale et qui ont soutenu sans relâche et dans la fidélité à leurs principes, le combat du peuple algérien pour son émancipation ". Alors que l'Algérie commémore le 48ème anniversaire du déclenchement de la révolution armée (le 1er novembre 1954), René Fagnoni, secrétaire-général du Comité de groupe Socpresse-Le Figaro et ancien appelé, revient sur la symbolique de cette stèle qu'il a appelée de ses voeux.

Afrik : Vous avez milité pour que cette stèle existe pourquoi ?
René Fagnoni : Cette stèle réhabilite la mémoire de ces oubliés de l'Histoire, véritables héros et acteurs primordiaux de la Révolution algérienne. Elle leur rend justice et fait écho à la plaque dévoilée par Bertrand Delanoë en octobre 2001 à Paris, sur le pont Saint-Michel, rendant hommage aux manifestants algériens morts le 17 octobre 1961. L'Algérie se devait de rendre hommage aux Justes français qui se sont battus aux côtés des Algériens. Ils n'étaient pas nombreux mais ont fait preuve d'un immense courage. Pour moi, ils représentent l'honneur de la France. Ils ont permis que dans cette guerre abominable l'éclat de la France en tant que terre des libertés, mère des Révolutions et des valeurs du siècle des Lumières ne soit pas totalement terni. Et ils sont des exemples pour notre époque qui manque cruellement de héros.

Afrik : L'inauguration a été très discrète...
René Fagnoni : C'est en effet un geste politique important qui est complètement passé inaperçu. Mais c'est déjà un pas. Les gouvernements français successifs n'ont jamais accepté le caractère héroïque de la démarche de ces Français et les Algériens ont mis très longtemps à le reconnaître. A tel point que le corps de Maurice Laban n'a été rapatrié ni par la France ni par l'Algérie. Cette dernière a donné la priorité à ses propres martyrs, malheureusement très nombreux. 1,5 millions d'Algériens sont morts à l'époque, sur une population de 9 millions de personnes.

Afrik : A quels personnages fait référence cette stèle ?
René Fagnoni : A tous les Français anonymes engagés aux côtés des Algériens. Et en particulier à Maurice Laban, à qui l'historien Jean-Luc Einaudi a consacré un ouvrage *. Natif de Biskra, où ses parents étaient instituteurs, il s'engage d'abord dans les Brigades internationales durant la Guerre d'Espagne. Il en revient avec de graves blessures. Membre du Parti communiste algérien (PCA), il rejoint le maquis aux côtés du FLN et sera tué le 5 juin 1956, en même temps que l'aspirant Maillot. Il a alors 42 ans. Quant à Henri Maillot, militant du PCA de 24 ans, aspirant rappelé dans l'armée française, il déserte en avril 1956 avec un stock d'armes. Il est pris vivant par les militaires et alors qu'on veut lui faire crier " Vive la France ", il s'exclame " Vive l'Algérie indépendante ! " avant de tomber sous une rafale. Il faut citer aussi l'infirmière Raymonde Peschard, arrêtée, torturée, violée et massacrée en août 1959, à 25 ans.

Afrik : Mais l'Algérie a déjà donné des noms de Français ayant combattu aux côtés des Algériens à des rues ou des bâtiments...
René Fagnoni : Si vous parlez de l'Hôpital Maillot, il n'a rien à voir avec l'aspirant en question. L'établissement portait ce nom bien avant qu'Henri Maillot ne déserte. En revanche, une rue Maurice-Laban a été inaugurée à Biskra l'année dernière. Mais dans la région de Batna, où est tombée Raymonde Peschard, qui se souvient d'elle ? A l'inverse, on commémore chaque année la mort de Massika Ziza, infirmière du même âge que Raymonde, tuée par un éclat d'obus lors d'un bombardement en petite Kabylie. Plusieurs bâtiments publics portent même son nom.

Afrik : Quelle a été votre expérience de l'Algérie pendant la guerre ?
René Fagnoni : Jeune appelé, j'ai été envoyé, pour briser mes velléités anti-colonialistes, en Algérie de mars 1957 à mai 1959. J'ai été incorporé dès le premier jour dans le 7ème régiment de tirailleurs algériens, stationné dans les Aurès et composé à 80% de musulmans. C'est dans cette région, près de Batna, que j'ai appris à aimer l'Algérie et ses habitants avec lesquels j'ai noué des liens très forts. J'ai vu ce qui se passait sur le terrain mais par bonheur, je n'ai jamais eu à participer à un engagement avec les combattants algériens. C'est pourquoi aujourd'hui, j'ai autant de respect pour ces jeunes hommes et femmes français qui ont eu le courage de mettre en action cette phrase de Jean-Jacques Rousseau : " Quand l'Etat perd la raison, l'insurrection est le plus sacré des devoirs ".

* Un Algérien, Maurice Laban de Jean-Luc Einaudi (Cherche midi éditeur, Paris, 1999).

Olivia Marsaud
© Afrik.com
Maurice Audin..EN VIDEO

 

 

Maurice Audin était un brillant mathématicien qui enseignait à la faculté d'Alger. Il était sur le point de soutenir sa thèse, sous la direction de De Possel, quand il fut arrêté, torturé et assassiné par l'armée française en juin 1957, pendant la guerre d'Algérie. Il est mort à 25 ans. Sa thèse a été soutenue "in absentia" en décembre 1957, sous la présidence de Laurent Schwartz.

Depuis janvier 1957, la 10ème Division parachutiste commandée par le général Massu a les pouvoirs de police à Alger afin de traquer le terrorisme. Maurice Audin, assistant en mathématiques à la Faculté des Sciences d'Alger, membre du PCA (Parti Communiste algérien, dissous en 1955), est arrêté le 11 juin 1957 vers 23 heures par le capitaine Devis, le lieutenant Erulin et plusieurs parachutistes du 1er RCP (Régiment de Chasseurs Parachutistes). Une souricière est installée dans l'appartement de la famille Audin. Le lendemain, Henri Alleg, ancien directeur du journal Alger Républicain, y est arrêté. Madame Audin est immobilisée dans son appartement durant quatre jours avec ses trois enfants. Une fois libre, elle s'inquiète du sort de son mari auprès des autorités et prend un avocat. Elle saisit la « Commission de sauvegarde des droits et libertés individuelles » qui vient d'être installée le 10 mai 1957 par Guy Mollet. Le 22 juin, elle apprend dans le Journal d'Alger que son mari est assigné à résidence, tandis que deux paras viennent la surveiller durant la journée. Le 29, le colonel Godard demande à l'avocat de lui envoyer madame Audin le 1er juillet. Il a une nouvelle « plutôt rassurante » à lui apprendre. Elle se présente chez le colonel Godard et est reçue par le colonel Trinquier. Il lui lit un rapport du lieutenant-colonel Mayer, commandant le 1er RCP, révélant que Maurice Audin s'est évadé lors d'un transfert. Madame Audin ne croit en rien les affirmations de ce document. Le 3 juillet, Mr Maisonneuve, conseiller de Robert Lacoste, lui écrit que Maurice Audin s'est évadé. Paul Teitgen, secrétaire général chargé de la Police à la Préfecture donne la même information, tout en s'étonnant que la fiche d'assignation à résidence ait été établie le jour même de l'évasion. Le « Bulletin de recherche et de diffusion urgente » suite à l'évasion, n'est déposé que le 18 juillet au bureau central de la Sûreté nationale en Algérie. Le 4 juillet, madame Audin, convaincue que, si son mari s'était évadé, il le lui aurait fait savoir, porte plainte pour homicide. Le 16 juillet, Jacques Duclos interroge le ministre Lacoste sur l'affaire Audin depuis la tribune de l'Assemblée Nationale. Pas de réponse. Le 25 septembre, il accusera les paras d'avoir assassiné Maurice Audin. Le 19 août, le procureur de la République d'Alger, après audition des paras par le juge, ne voit rien qui puisse contredire la thèse de l'évasion. Mais le 13 septembre, il trouve le silence de Maurice Audin étrange. Dès juillet, certains journaux en France, l'Humanité, le Monde, l'Express, évoquent l'affaire Audin. L'indignation des universitaires se manifeste spécialement lors de la soutenance de thèse de doctorat d'État de Maurice Audin le 2 décembre 1957 à la Sorbonne, en l'absence de l'intéressé.

Un comité Audin se constitue et publie une brochure « L'affaire Audin » qui établit, à partir du dossier de l'instruction d'Alger et de témoignages, que Maurice Audin, arrêté sans mandat, a été emprisonné à El Biar dans un immeuble du 1er RCP, qu'il a été torturé puis étranglé par le lieutenant Charbonnier, officier de renseignement, le 21 juin et que l'évasion avait été une mise en scène.

Henri Alleg et le docteur Hadjaj, eux aussi arrêtés et torturés virent l'attitude des paras changer après la « disparition » de Maurice Audin. Alleg qui fut mis en présence de Audin raconte dans son livre, La Question, les tortures qu'il a subies.

Les avocats de madame Audin demandent en 1958 la poursuite de l'instruction en métropole. Elle est transmise à Rennes en avril 1959 et les militaires, y compris Massu, sont entendus. Le 12 juillet 1961, le procureur général de Rennes, René Cénac, envoie à son ministre de tutelle des observations retenant l'évasion comme une réalité et mettant en doute les tortures. Les accords d'Évian signés le 18 mars 1962 sont suivis d'un décret du 22 mars amnistiant « les faits commis dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre dirigées contre l'insurrection algérienne. »

Conformément aux souhaits du ministre, le juge de Rennes rend un non-lieu en raison de ce décret et pour insuffisance de charges. Les avocats de madame Audin font appel puis saisissent la cour de Cassation. Leur pourvoi est rejeté en 1966. En 1968, madame Audin effectue un recours gracieux auprès de trois ministres, réclamant pour elle et ses enfants une indemnisation. Refus. Elle saisit le Tribunal administratif qui lui oppose la prescription quadriennale. Le ministre de l'Intérieur suggère de renvoyer la plaignante aux autorités algériennes! L'affaire vint en Conseil d'État. Le commissaire du gouvernement reconnaît la thèse du meurtre de Maurice Audin mais déclare le Tribunal Administratif incompétent.

Le général Massu dans son livre La vraie bataille d'Alger paru en 1971, reprend, à propos de l'affaire Audin, la fable de l'évasion mais dit regretter vivement cette disparition « parce qu'elle a permis de supposer que certains de mes subordonnés « galopaient » un peu trop vite ». Et d'ajouter « Audin s'était engagé délibérément dans la subversion, il ne pouvait en ignorer les risques », plaidant ainsi une chose et son contraire.

En 1981, François Mitterrand, ancien ministre de la justice de Guy Mollet, est élu président de la République. Cette même année, Charbonnier, devenu commandeur de la Légion d'honneur en 1976, prend sa retraite avec le grade de colonel. Par arrêté du 21 novembre 1983, madame Audin et ses trois enfants reçoivent chacun une indemnité de 100 000 francs. Le 13 juillet, elle avait reçu la Légion d'honneur. Mais le 3 décembre, une loi d'amnistie rétablissait dans tous leurs droits les anciens chefs de l'OAS et l'État n'avait toujours pas reconnu son crime.

Le 23 novembre 2000, dans une interview au journal Le Monde, le général Massu regrette la torture et reconnaît qu'elle « avait été généralisée en Algérie » . À la question « Est-il [Audin] mort sous la torture ou étranglé? » , il répond : « Je n'étais pas à côté de Maurice Audin au moment de sa disparition. Je n'ai pas de souvenirs précis. Si j'avais encore en mémoire les circonstances de sa disparition, je vous le dirais probablement, mais je n'en ai pas. » Le général Aussaresses, ancien du SDECE, alors commandant sous les ordres de Massu est plus maladroit lors d'une interview publié le même jour par Le Monde. À une question mettant en cause le lieutenant Charbonnier, il répond : « Je ne sais rien pour ce qui est de Maurice Audin. Vraiment rien. [...] Je ne sais rien, je vous le répète. La seule chose que je peux vous dire, c'est que ce n'était pas Charbonnier. Il n'était pas dans le secteur à ce moment-là. Il était ailleurs, occupé à procéder à des arrestations et à exploiter des renseignements. Mais il n'était pas là. [...] Le lieutenant Charbonnier n'y était pour rien, c'est tout ce que je peux vous dire. »

Le 2 mai 2001, le général Aussaresses publie un livre où il apparaît clairement que c'est lui, fondateur du 11ème Choc, le service Action du SDECE, qui dirige toutes les opérations de recherche de suspects, d'interrogatoires poussés et d'exécutions sommaires pour la 10ème DP, commandée par le général Jacques Massu, du 8 janvier 1957 jusqu'à l'automne de la même année. Il coordonne toutes les actions des officiers de renseignement (OR). Il connaît de près tous les acteurs de l'affaire Audin, le lieutenant Charbonnier et trois membres des sa deuxième équipe , Yves Cuomo et Pierre Misiry (Misiri pour Pierre Vidal-Naquet) qui sont avec Charbonnier les acteurs de la pseudo évasion de Audin, et Maurice Jacquet, l'un des paras ayant interpellé Audin.

À propos de Maurice Audin, Aussaresses écrit : « Je suis repassé chez Audin après la capture d'Alleg. J'ai demandé à Charbonnier d'interroger ces deux hommes pour savoir s'ils appartenaient au Service Action du PCA [Parti Communiste Algérien] et d'exploiter les papiers et les carnets [...]. Comme on sait, Audin disparut le 21 juin. Cette disparition fit scandale et donna lieu à une enquête poussée. » On voit ici toute l'habileté littéraire de ce licencié en latin-grec devenu tortionnaire et assassin, à jouer sur les différents sens des verbes disparaître et pousser. Suite à la parution de ce livre, Josette Audin dépose plainte contre X pour séquestration et pour crimes contre l'humanité.

Yves Cuomo déclare le 11 mai 2001 dans La République des Pyrénées, que lors du transport au cours duquel, d'après les paras, Maurice Audin se serait évadé, l'homme qui a sauté de la jeep qu'il conduisait ce 21 juin 1957 portait une cagoule. Rien ne prouve donc que c'était Maurice Audin.

En attendant, la République persiste dans le mensonge.

 

Sources :

Pierre Vidal-Naquet, L'affaire Audin, Éditions de Minuit 1958, 1989; Henri Alleg, La question, Éditions de Minuit, Paris, 1961; Le Monde 23 novembre 2000; Général Paul Aussaresses, Services spéciaux, Algérie 1955-1957, Perrin, 2001.

LES ARCHIVES DE L'HUMANITE
HISTOIRE
Exécuté pour l’exemple par la justice coloniale

Algérie . Il y a cinquante ans, le 11 février 1957, Fernand Iveton, trente et un ans, militant communiste, accusé de terrorisme, était guillotiné. Sa grâce a été refusée par le gouvernement de Guy Mollet.

« Je vais mourir, mais l’Algérie sera indépendante » furent les derniers mots prononcés par Fernand Iveton, avant d’être guillotiné juste après Mohamed Ounouri et Ahmed Lakhnache, le 11 février 1957 à 4 h 30 du matin. « Ce matin, ils ont osé/ Ils ont osé/ Vous assassiner/ C’était un matin clair/ Aussi doux que les autres/ Où vous aviez envie de vivre et de chanter (...) », déclamait dans un poème écrit après son exécution Annie Steiner, alors jeune militante détenue dans le quartier des femmes de la prison de Barberousse d’Alger (1). Fernand Iveton avait trente et un ans, ses deux codétenus, un peu plus de vingt ans. « Nous avons voulu sa mort et nous l’avons obtenue sans défaillance », écrivait ce jour-là Jean-Paul Sartre. « Les 300 condamnés à mort d’Algérie sont, pour la plupart, des otages que l’on veut fusiller », dénonçait l’écrivain et journaliste communiste Pierre Courtade dans l’Humanité.

Rencontrée dans une librairie à Alger, Annie Steiner se souvient encore de ce 11 février 1957 quand sa compagne de cellule, Yvette Bacri, l’a réveillée. « Annie, réveille-toi, ils emmènent Fernand », lui crie-t-elle. Elle avait reconnu la voix d’Iveton quand il était passé devant le quartier des femmes encadré par des gardiens qui l’emmenaient vers le lieu de son exécution. Il était en train de chanter. « Il s’est dirigé vers la guillotine comme s’il allait revenir », écrit alors Étienne Fajon dans l’Humanité. « Tous les détenus, c’était la tradition quand un militant était exécuté, ont commencé à crier, à faire du bruit avec n’importe quoi et à scander "tahia el-djazaïr" (vive l’Algérie). Après sa mort, on a fait une grève de quarante-huit heures », ajoute Annie Steiner. « La vie d’un homme, la mienne, compte peu, ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir et l’Algérie sera libre demain », déclarait-il au greffe de la prison, quelques minutes avant son exécution. Au pied de la guillotine, il a embrassé ses deux codétenus qui allaient être exécutés avant lui (2). « Celui-là, fut un condamné à mort modèle, droit, impeccable, courageux jusqu’au couperet », relate son bourreau, Fernand Meissonnier (3).

Exécuté pour l’exemple, Fernand Iveton était accusé d’avoir tenté, selon l’expression du ministre résident en Algérie, le socialiste Robert Lacoste, d’avoir voulu « faire sauter Alger ». Or, s’il a, certes, déposé une bombe dans les vestiaires de l’usine de gaz d’Alger, elle ne devait exploser qu’une fois les employés partis. Selon Jacqueline Guerroudj, qui lui a remis la bombe, Iveton avait exigé qu’elle ne fasse aucune victime civile. Il voulait des « explosions témoignages » pour faire avancer la cause de l’indépendance sans faire de victimes civiles. De ce fait, la bombe, de faible puissance, avait été réglée pour exploser le 14 novembre 1956 à 19 h 30. À cette heure, il n’y avait plus personne sur les lieux de travail, rapporte l’enquête. D’ailleurs, les artificiers l’avaient désamorcé vers 18 heures.

Arrêté sur dénonciation, le 14 novembre 1956, Iveton est présenté devant le tribunal permanent des forces armées d’Alger dix jours après, le 24 novembre, rasé, sans moustache, le visage marqué par les coups. Le procès se déroule dans une atmosphère de haine. La presse coloniale titre « Iveton le dynamiteur ». Quand il fait son entrée dans le tribunal, des insultes fusent à son endroit, le public exige sa mort et ses avocats sont menacés. Le procès est expéditif : il est condamné à mort le jour même pour terrorisme. En vérité, son sort avait été réglé en France. Sur proposition du garde des Sceaux, François Mitterrand, le gouvernement socialiste de Guy Mollet avait décidé que l’examen des recours des militants du FLN serait accéléré et que ceux dont la grâce était refusée par le chef de l’État seraient exécutés au plus vite. Le 10 février 1957, son recours en grâce est rejeté par le président René Coty.

Né à Alger le 12 janvier 1926, Fernand Iveton a suivi l’itinéraire classique du militant communiste. À quatorze ans, le certficat d’études primaires en poche, il quitte l’école pour travailler. À seize ans, il adhère au Parti communiste algérien (PCA), dont il diffuse l, Liberté, et les appels à la sortie des stades d’Alger. Ouvrier tourneur, à l’usine Lebon, puis à l’usine de Gaz d’Alger, délégué CGT, il est de toutes les luttes sociales. Et quand débute la guerre d’indépendance algérienne, il s’engage dans les Combattants de la libération (CDL) mis en place par le PCA. Aujourd’hui, cinquante ans après, ses amis à Alger commémorent le cinquantième anniversaire de sa mort au cimetière d’El Alia et ils réclameront une nouvelle fois qu’une rue de cette capitale qui l’a vu naître porte son nom .

08/07/2007

LORS D'UNE CEREMONIE DE RECUEILLEMENT TENUE AU CIMETIERE D'EL-MADANIA (Ex Clos-Salembier)
Un vibrant hommage rendu au martyr Henri Maillot

 

Un hommage a été rendu ce jeudi au cimetière chrétien d’El Madania à Henri Maillot à l’initiative de l’association Yveton -Maillot. Les présents à cette cérémonie de recueillement, principalement les amis et compagnons d’armes du martyr ont tenu à rappeler qu’il a été l’un des grands moudjahidine de la Guerre de libération nationale.
“Il a sacrifié sa carrière pour que vive l’Algérie indépendante comme il avait le cœur rempli de valeurs. Il a donné sa vie pour que les autres vivent dans la dignité,” dira ému, M. Hassani, un ancien moudjahid. “C’est avec les armes de Maillot que l’on avait fait les plus grandes embuscades. A cette époque, on avait commencé à former les katibat, comme avec Henri Maillot la révolution s’est étendue vers l’Oranie. Il a galvanisé le mouvement de libération et l’a soutenu”, renchérira un autre compagnon du martyr. Henri Maillot fait ainsi partie des Français qui ont combattu auprès des Algériens lors de la Guerre de libération nationale. Sur sa tombe figure l’inscription suivante : «Ici repose Henri Maillot, mort au champ d’honneur le 5 juin 1956 pour l’Algérie indépendante et fraternelle.» Ses amis et anciens compagnons en présence de la sœur de Maillot, Yvette, ont déposé des gerbes de fleurs sur la tombe du martyr. C’est un certain 4 avril 1956 que Henri Maillot a scellé son destin alors qu’il était aspirant dans les rangs de l’armée française. Il déserta le 504e bataillon de la garnison de Miliana à bord d’un camion chargé d’armes. Il rejoindra les moudjahidines au maquis d’Orléansville (Chlef) et de l’Ouarsenis. Il fera connaitre par la suite ses motivations par le biais de lettres qui seront adressées à des militaires, à des policiers, à la presse et à des civils. Son message était clair : répondre en premier lieu à l’appel de la patrie. Le 22 mai 1956 le tribunal permanent des forces armées françaises le condamna à mort pat contumace. Et c’est le 5 juin 1956 que Henri Maillot tombe au champ d’honneur dans un douar dans la région Orléansville.
F. Zohra B.   Le Soir d'Algerie

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